Etre enceinte seule, ou le capitalisme gestationnel

Une grossesse sans père, c'est deux possibilités :

     - soit le père s'est fait la malle, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui et la mère subit cette absence.

     - soit le père ignore que la mère attend un bébé car c'est le choix de cette femme de faire un enfant seul.

Tu n'es pas idiot, tu as compris quelle était ma situation, option 1 (même si, vu le comportement du père, on ne déplorera pas son absence, bien plus apaisante que sa présence, ndlr).

Et il y a quelques situations que je rencontre au cours de cette grossesse qui me laissent perplexes, voire, on peut le dire, qui peuvent même me choquer. Et pourtant, je ne suis pas une féministe convaincue, ni une militante de l'égalité des droits, toussa toussa.

La dernière situation de ce genre rencontrée date d'il y a 15 minutes, lorsque j'ai ressenti un profond sentiment d'injustice en raccrochant mon téléphone. Je t'explique.

Il y a quelques temps, je me suis rendue à cette évidence : mon ventre, alias ma fille qui pousse dedans, prend de plus en plus d'espace, et m'empêche de plus en plus de faire certaines tâches ménagères. Par exemple, je suis du genre à ne pas adorer que mon fond de baignoire soit crasseux de restes de gel douche, ou que mes carreaux crient à l'aide la lumière ne passe plus. Or, si je commence à récurer mon fond de baignoire, ou à grimper sur une chaise le bras en l'air pour nettoyer mes vitres, mon corps me rappelle que non, ça n'est plus possible, et oui, repose tes grosses fesses sur le canapé.

Alors depuis mon canapé, j'appelle mes copines, et entre une blague vaseuse et un calage de prochain rencard, j'en profite pour me plaindre un peu de mon nouveau manque d'autonomie. Inévitablement, mes copines me répondent : "mais demande moi ! Je te les fais tes carreaux, moi !".
Ce qui est adorable, certes.
Mais tu m'imagines franchement ouvrir la porte, poquer un chiffon dans les mains de ma copine, aller m'assoir dans mon canapé pendant qu'elle nettoie les mois de crasse accumulée sur mes vitres ? Moi non. J'ai encore le sens de l'hospitalité, et de la dignité.

Alors j'en ai causé à mon médecin généraliste, qui m'a fait une ordonnance pour bénéficier d'aide à domicile. Chouette !

Ni une ni deux, j'appelle l'organisme qui m'enverra une aide à domicile. J'explique ma situation, je suis enceinte de 6 mois et demi, changer ma housse de couette revient énergétiquement à faire un marathon, je n'ai personne à domicile pour m'aider à faire tous ces machins, et j'ai une ordonnance médicale.

Parfait. On va contacter la CAF pour connaitre votre quotient familial et savoir combien il restera à votre charge. Sachez toutefois qu'au maximum, vous paierez 12 euros de l'heure.

Lanterne rouge dans ma tête : je ne connais pas précisément mon quotient familial mais je sais qu'il est plutôt élevé (puisque j'ai eu la bonne idée de cumuler les heures de travail, sans mari ni enfant ni handicapé à ma charge en 2014). DONC que même si je ne paierai pas 12 euros l'heure, il y a des chances qui cela avoisine les 10 euros quand même.

10 euro l'heure hebdomadaire x 4 semaines dans le mois = 40 euros mensuel pour que l'on puisse m'aider à continuer à vivre dignement.

Oh merci, un mois de ménage, c'est génial !
- Oui, et c'est de la part de Mamie ET Papy...

40 euros, pour certains ce n'est rien, pour d'autres c'est énorme. Pour moi, c'est conséquent.

Et surtout c'est dégueulasse. Quand, à 4 mois de grossesse, le père a décidé que cette histoire ne le concernait plus, mon bébé s'était installé un home sweet home dans mon ventre et je savais que je devrais aller au bout du bout sans que celui qui y avait mis la graine originelle m'aide à changer mes putains de housses de couette. Je n'avais pas envisagé que l'on me demande en plus de payer 40 euros pour ça.

Je le vis un peu comme : "ah vous êtes dans la merde ? Votre situation personnelle est un peu à chier depuis quelques temps ? Trèèèèèès bien, je note. Eh bien, madame, nous vous invitons à payer, payer, payer. Payer pour tout les manquements de votre ex conjoint. Payer son absence. Comment ça vous le payez déjà ? Ah non moi je vous parle d'argent ! Payer avec de la monnaie si vous voulez. Après, pour payer son absence symbolique, vous pouvez toujours consulter un psy à 60 euros l'heure !"

...

Je te parle du fait que ma maternité me propose de déclarer mon enfant à la place du père si celui-ci est absent à la naissance ? (oui puisqu'a priori, je serais plutôt occupée à cicatriser du ventre ou du vagin, moi).
Sympa hein ?!
Moyennant 10 euros, évidemment...